La photo, ce n'est pas de la magie

Quand j'ai commencé la photo, il y a plus de vingt ans, j'ai fait comme tout débutant : j'ai acheté un ou deux livres d'initiation, et je me suis plongé dedans avec avidité. Je partais vraiment de zéro ; je n'y connaissais rien.

Tout ce que je savais, c'est que j'aimais les images. N'importe quelle photo réussie m'impressionnait. J'en voyais partout. J'étais par exemple fasciné par les sublimes images en noir et blanc de la grande époque du photo-journalisme (celles des Cartier-Bresson et compagnie). Leur force me semblait très mystérieuse. Quasiment magique. Je voyais bien qu'elles se distinguaient de toutes celles réalisées par nous autres, humbles mortels ; mais je ne comprenais pas pourquoi. Qu'est-ce qui faisait qu'elles étaient si évidemment belles ?

Il semblait y avoir quelque chose d'impalpable dans une belle photo. J'espérais faire aussi bien, un jour, peut-être ; mais je n'y croyais pas trop. Mon complexe d'infériorité me proposait une explication simple : ces gens étaient doués, tout simplement. Ils avaient du talent. C'étaient des artistes. Certains avaient même du génie. Bref, ils ÉTAIENT photographes. Ils pointaient leur appareil, et clic, ils faisaient une belle photo. L'art sortait d'eux tout naturellement.

En fait, je vivais sans le savoir dans la mythologie de l'artiste inspiré par les sphères célestes. Je n'ai donc pas été surpris, en lisant mes livres d'initiation à la photographie, de ne rien apprendre du tout sur la façon de réussir une belle photo. Il n'y avait rien, tout simplement parce que le génie artistique, ça ne s'explique pas. Tout ce que j'ai appris, c'est la signification des réglages d'un appareil-photo reflex. Ça n'a pas grand chose à voir avec l'art de réussir une belle image.

Avec le recul, je me dis que c'est un peu étrange, de débuter comme ça, et de s'en contenter. C'est un peu comme si au CP, pour apprendre aux enfants à écrire, on commençait par leur enseigner l'utilisation d'un traitement de texte. Ça pourra peut-être leur être utile, plus tard, quand ils auront un livre à écrire; mais avant, il aura fallu qu'ils apprennent à construire des phrases qui tiennent à peu près debout. Si on les laisse se débrouiller, si chaque enfant doit réinventer tout seul comme un grand l'orthographe, la grammaire et la syntaxe, ça risque de prendre un certain temps.

Je crois que ça fonctionne un peu de la même manière pour la photo. Je crois que c'est un langage qui peut s'apprendre, et qui n'a rien à voir avec la technique. Quand je suis face à mon sujet, les problèmes de réglages de mon appareil occupent à peu près 1% de mon esprit. Tout le reste est accaparé par des questions du style : Comment fonctionne la lumière ici ? Est-ce qu'il n'y a pas un angle qui serait meilleur ? Qu'est-ce que je mets dans mon cadre ? Où est-ce que je coupe ?

Voilà ce qui occupe le photographe en plein travail ! (moi en tous cas) Ce sont des choix tout à fait concrets. Il n'y a rien d'impalpable là-dedans, rien de magique. Je ne parle évidemment pas des œuvres d'exception, des artistes avec un A majuscule, qui garderont toujours leur mystère. Je parle juste des "bonnes images" ; de la différence entre une bonne photo, et une photo nulle. Je ne prétends pas à autre chose. Mais ce n'est déjà pas si mal, faire de bonnes photos. C'est en tous cas beaucoup mieux que ce que je faisais à mes débuts.

Je vais donc essayer d'écrire une série de petits cours, que j'espère divertissants et instructifs, et qui ne parleront pas du tout (ou très peu) de technique, mais qui essaieront de mettre des mots sur ces choses, pas si impalpables que ça, qui font une bonne image.

A bientôt !

PS : La photo qui illustre cet article est la première que j'aie vendue de toute ma carrière. Elle a maintenant douze ans. A cette époque, ça faisait déjà plus de dix ans que je pratiquais, tout en me disant que je n'avais pas l'étoffe d'un photographe.

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